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Ce n'était pas tout à
fait n'importe quel établissement. Depuis sa fondation au siècle dernier,
la Haute-Ecole de l'Herberie s'était bâti une solide réputation, et pas
seulement pour la qualité de l'enseignement qu'on y prodiguait. Monastère
désaffecté, à flanc de colline, elle ajoutait à l'austérité de ses locaux
un éloignement drastique de tout centre urbain connu, offrant en compensation
la beauté dépurative d'une région demeurée sauvage malgré l'autoroute.
Tout concourait à faire de l'étude forcenée la principale distraction
en ces lieux.
Une crasse misogynie y était de rigueur ; cela
aussi faisait partie de son folklore.
Parce
qu'un ministre en mal de réforme ne savait quel souvenir attacher à son
bref passage, la Haute-Ecole de l'Herberie serait mixte désormais. Personne
encore ou presque n'en était informé. L'aurait-on d'ailleurs su, nul ne
s'en serait inquiété : la rentrée passée de plusieurs jours, quatre jeunes
filles en tout et pour tout avaient au plus fort des inscriptions figuré
au tableau des effectifs.
On savait déjà que l'une d'entre elles, originaire d'un
pays civilisé, n'embarquerait jamais dans cette galère. Une autre tardait
à se manifester, faisant déjà figure du bon exemple à suivre ; en
fait, l'ultime fournée des retardataires était attendue incessamment.
Les deux malencontreuses étudiantes déjà installées, l'une mignonne pourtant,
l'autre moins, on les ferait bien détaler tôt ou tard.
C'est par une maussade matinée d'automne qu'un routier
complaisant me déposa au lieu-dit " L'Herberie ", face à l'entrée principale
de cet établissement d'un autre âge.
La
façade, d'un gris douteux, suffisait à dissiper le moindre doute quant
à l'ambiance régnant au-delà de ses étroites fenêtres à barreaux. Une
porte de caveau m'aurait semblé autrement accueillante que ce porche verdâtre,
ramassé, et comme obturé d'un double vantail dont la peinture s'écaillait.
Prolongé sur la droite par une ruine en bras mort, le mur d'enceinte semblait
si trapu que dix générations de bénédictins, ou mieux de trappistes défunts,
devaient s'y trouver enchâssées bien au large. A travers la poterne ouverte,
enfin, on apercevait un pan de bâtiment préfabriqué ce qui, curieusement,
me remonta le moral.
Après avoir ajusté mon sac à dos, j'empoignai résolument
mes deux valises et marchai d'un pas décidé vers l'accueil. Peu de monde
dans l'avant-cour : un petit groupe d'étudiants qui se retournèrent à
peine sur moi. A en juger par leur bref coup d'oeil, je ne ferais guère
les frais de la discussion du moment. Avec mon jean raisonnablement délavé
et mon ample blouson de toile par-dessus un pull non moins lâche, une
quelconque paire de tennis aux pieds, et les cheveux sagement liés, à
peine raccourcis pour la circonstance, c'était bien tout l'effet que j'avais
escompté. Personne ne me proposa une aide dont je n'avais nul besoin.
Les
formalités furent vite expédiées. On m'avait attribué une chambre provisoire
en bout de bâtiment, où je pus déballer sommairement mes effets et faire
un brin de toilette. Une surprise m'attendait au fond de la première valise
: en étalant mes vêtements sur le lit afin de les défroisser - je manquais
de temps pour les ranger autrement - je découvris une bonne vieille robe
de chambre paternelle, pliée sous la mienne. Touchante attention de mon
père, à qui je l'ai de tous temps chipée, celle-ci pas moins que les précédentes,
aussi loin que remontent mes souvenirs d'enfance.
Ma tenue de voyage ne choquant apparemment personne,
je n'éprouvai pas la nécessité d'en changer. Midi approchait, je filai
du côté de la cantine, où j'avais encore quelques papiers à remplir, et
des photos à remettre avant de recevoir une carte d'admission en bonne
et due forme. Le temps d'accomplir ces ultimes démarches, une file d'attente
s'était allongée dans le hall, parmi laquelle je ne retrouvai aucune tête
connue. Le contraire eût été surprenant.
Je choisis une table isolée, au fond du réfectoire,
sous une fresque représentant Saint Quelqu'un occupé, semblait-il, à se
curer les doigts de pieds. On avait restauré les murs avant de penser
aux estomacs. Ici, tout semblait d'époque, la nourriture y compris, encore
que les chaises en tubes faussassent quelque peu la note.
-
C'est libre ?
Le ton relevait plus de l'affirmation que de la question.
Le temps de redresser la tête, la bouche encore pleine de spaghettis mi-carbonara,
mi-carbonisées, et un type aussi bas qu'épais, mimétisme alarmant avec
l'architecture locale, achevait de s'installer face à moi.
- Ca ne l'est plus, constatai-je.
Déjà, il attaquait son plateau, massacrant tout d'abord
une batavia, enfournée à bouche que veux-tu d'une fourchette rageuse.
Ma réponse s'était perdue entre deux crissements de feuilles côtelées
sous la dent. On avait certes interdit à mon vis-à-vis l'usage du couteau
dont pourrait s'offusquer une salade bien née, mais nul n'avait songé
à lui enseigner l'art du pliage. Aussi le spectacle tourna-t-il rapidement
à la corrida potagère. Malgré d'acrobatiques véroniques, de longues traînées
d'huile, comme autant de balafres vengeresses, ornèrent bientôt les joues
de l'inconnu. Vint enfin l'estocade.
Allez savoir pourquoi, je ne pus réprimer le geste de
m'essuyer copieusement la bouche.
Je
brassais mon yaourt lorsque El Salador se rappela subitement mon existence
:
- T'arrives de ce matin ?...
La question n'appelait pas davantage de réponse que
la précédente. Le fait, et ma seule présence suffisait à l'attester, était
désormais acquis ; voire, on m'en informait. Mon arrivée prenait soudain
valeur de phénomène incontournable.
- Tu fais quoi ? Moi, c'est Corniche, et après, Saint-Cyr.
Pas facile facile, mais bon, on est là pour en chier, hein ?... Mais
bon, tu verras, ici, c'est peinard, et surtout on n'est pas emmerdé par
les nanas : y en a pas. Enfin si, pas des tonnes, une, deux, deux et demie,
mais bon, des khâgneuses et bref, tiens, t'as vu Saint Etienne ?
Je tentai un rétablissement sur la pointe des oreilles,
profitant d'un creux dans le délire verbo-moteur du cornichon vinaigré
:
- Le type qui s'épluche les orteils ?
L'autre
me lança un regard glauque de noyé, émit une dernière bulle, puis il extirpa
de sa poche un journal tant et tant replié sur lui-même qu'on l'aurait
gobé d'une seule bouchée sans se graisser les babines. Je profitai de
ce qu'il déployait son quotidien pour écorcer à l'unisson mon orange,
ralentissant un peu sur la fin pour ne pas trop le distancer. L'Equipe.
Nous n'étions manifestement pas synchrones.
El Salador s'était plongé dans la lecture d'une réclame
où il était question de ce baume décontractant que l'on extrait des rognons
d'un tigre tué à la marée montante, un vrai, avec des rayures de haut
en bas et quelques autres dans tous les sens pour rompre la monotonie.
J'eus l'impression pénible de ne pas exister.
La salle ne tarderait plus à se vider. J'avais repéré
deux issues : l'une donnant sur le cloître, l'autre sur une cafétéria
qui s'emplissait au fur et à mesure que s'opérait la coupe claire du réfectoire.
- Je fais Khâgne, dis-je pour relancer la conversation.
Pas de réaction. Ou plutôt, l'amorce d'un sourire, long
d'abord à se mettre en place, un sourire propagé de fibre en fibre, muscle
par muscle, une ride de gaieté après l'autre, dans un ordre savamment
orchestré, et qui s'acheva d'un coup sur un rictus de franche hilarité
:
- Ah ouais, l'aut' con, là, c'est pas un saint, c'est
Judas qui se tâte, sur le point de trahir le Christ. Comment tu dis déjà
? Qui se décrasse les orteils !
*
*
*
Dès
la première journée le professeur, un certain Canivet, me mit d'autant
plus à l'aise que tout s'était parfaitement déroulé jusqu'à mon arrivée
dans sa classe.
Sachant que nous devions suivre les mêmes cours, il
m'avait suffi d'aborder l'une des rares filles, que j'avais dénichée sirotant
un thé citron derrière un pilier de la cafétéria :
- Je peux ? demandai-je en m'emparant d'un tabouret
inoccupé. Sauf erreur, tu prépares l'ENS. Moi aussi. Le différence, c'est
que je débarque à l'instant et ne connais pas encore la maison.
Elle avait tout de suite compris où je voulais en venir.
J'eus droit à son plus joli sourire, comme si c'était moi qui lui rendais
service, et ma nouvelle amie, Elisabeth Hochepin, proposa de me piloter
autant qu'il le faudrait, jusqu'à ce que les méandres de l'Herberie n'aient
plus aucun secret pour moi. C'était plus que je n'en demandais, mais elle
semblait si contente d'avoir quelqu'un à qui parler qu'elle aurait souhaité
me devenir indispensable. Elle me tenait dans ses filets, et gare à qui
tenterait de m'en arracher !
Ce n'était bien sûr qu'une première impression, mais
à la façon dont elle rembarra ce jeune homme qui s'approchait insensiblement
de nous, par simple curiosité avais-je supposé, je devinai n'être pas
loin de la vérité.
- Celui-là, dans le genre tapette, si tu en tâtes, je
te le recommande !
Elisabeth, prévenante, m'avait ensuite prodigué ce conseil,
sans doute excessif, mais qui en disait long sur les frustrations et contradictions
de toutes sortes qu'elle avait eu à affronter depuis son arrivée :
- Quoi que tu fasses, en n'importe quelle compagnie,
surveille toujours tes arrières, car avec la misogynie qu'on encourage
comme un sport à l'Herberie, gare aux dérapages ! C'est peut-être
paradoxal, mais il n'y a que les filles qui ne risquent rien ici. Toi
au moins, sois sympa, n'entre pas dans leur jeu.
Mon sourire amusé lui fut sans doute un encouragement
à poursuivre, car elle ajouta un demi-ton plus bas, toute rosissante :
-
... D'autant que tu pourrais bien en faire craquer plus d'un avant longtemps,
que tu le veuilles ou pas.
- C'est plutôt flatteur, non ?
- En un sens, mais quel gâchis ! soupira-t-elle, visiblement
gênée par la tournure qu'elle-même imprimait à la conversation. Maintenant,
euh ! si tu veux bien m'excuser un instant... Il y a de ces envies qui
n'attendent pas ; ne bouge pas, je reviens.
- Euh ! c'est que justement, moi aussi...
Elle eut un petit rire complice, avant d'ajouter, piquant
son fard derechef :
- Alors suis-moi, c'est simple, ils n'ont prévu ça que
pour les hommes ; au moins, on ne se perdra pas.
La
salle de cours n'avait pas l'air plus affriolante que le reste du bâtiment.
Les lumières s'y allumaient tôt dans la journée, et la petite taille des
radiateurs laissait présager de pénibles hivers. Je trouvai par contre
les pupitres à l'ancienne des plus agréables, aux graffitis près. Ce qui
me fit repenser à d'autres inscriptions lues quelques minutes auparavant,
en d'autres lieux, et dont je n'avais plus qu'un pâle reflet sous les
yeux. Il y a de ces points de détail qui font à la fois honte et mal ;
honte pour leurs auteurs, et mal à ceux ou celles qui les subissent. Même
l'humour qui perçait parfois sous la gravelure du trait n'aurait suffit
à les excuser.
- Ah ! je vois que nous sommes au complet, constata
le professeur, me signalant illico à l'attention de tous.
Elisabeth n'avait pu m'indiquer de place qu'au premier
rang, le fond de la classe étant évidemment réquisitionné depuis les premières
minutes de la rentrée officielle. L'inconvénient d'arriver comme les carabiniers...
Cent mille regards convergèrent aussitôt sur moi, tandis
qu'un murmure jusque-là confus s'amplifiait tout à coup. Pas besoin d'être
extralucide pour deviner le genre de questions qui se bousculaient dans
les esprits. La façon dont me dévisageaient mes voisins immédiats en disait
autrement long que toutes ces réflexions indistinctes que l'on s'échangeait
dans mon dos. Je pris une profonde inspiration, parvenant à presque contenir
l'emballement de mon cour. Mais lorsque le professeur jugea préférable
de satisfaire les curiosités sur-le-champ, je me sentis rougir comme jamais.
- Je vous présente Stéphane Lemesnil...
Un temps d'arrêt. L'oil frisant de malice, Canivet savourait
son effet. Ce fut un curieux frémissement, comme un reflux, où la déception
le disputait au soulagement ; la tension venait de chuter dans les
rangs.
- ... Stéphane Lemesnil, dont l'arrivée tardive parmi
nous ne doit rien aux vendanges. Que l'on veuille bien y déceler un signe
d'incontestable originalité, d'excellent aloi au demeurant.
Je lui adressai une mimique interloquée, tant en signe
de muette protestation que de sincère amusement.
- Il semblerait qu'on ne partage pas unanimement mon
analyse, corrigea-t-il en me désignant du regard. Et pour cause... A la
fin du mois dernier, cette jeune personne comptait parmi les passagers
du Boeing détourné vers la Suisse.
Il y eut un silence stupéfait. Les bribes de conversations
que j'avais pu saisir au vol me l'avaient fait comprendre, ce n'était
pas exactement ce genre de rumeur qui se colportait depuis la rentrée.
On alléguait de vagues indiscrétions du personnel d'intendance comme de
certaines insinuations de la part d'enseignants mal identifiés. On s'était
trompé de retardataire, et le mystère ne faisait que rebondir.
Les
révélations du professeur n'en laissaient pas moins tout le monde bouche
bée. La chose paraissait incongrue. On ne détournait les avions que sur
les ondes, télévision ou radio, à la rigueur dans les gazettes ! Comment
pouvait-on rencontrer quelqu'un ayant vécu cela ?
Puis je sentis un revirement, à mesure que les esprits
se reprenaient, et qu'une auréole des plus suspectes me poussait à la
tête. La rumeur nouvelle me nimbait insidieusement d'une aura dont j'appréhendais
d'ores et déjà les fâcheuses retombées. Je commençais à en vouloir sérieusement
à ce fichu bavard de Canivet lorsqu'il conclut :
- Relisez vos classiques : comment peut-on être Persan ?...
Ceci pour votre information. Un peu plus tôt, un peu plus tard... A moins
que votre camarade ne désire ajouter quelques mots, je considère pour
ma part que l'incident est clos. Subir le terrorisme n'a rien d'exaltant,
et l'on ne saurait davantage s'en glorifier. Laissez donc aux médiocres
les questions déplacées.
Le coup avait trop bien porté ; aussi, pour tenter de
dissiper le malaise qui menaçait de s'installer, je me tournai vers un
auditoire terriblement gêné, nul n'osant plus me regarder sinon à la dérobée,
et pris la parole :
- Comme vous le savez probablement, le steward a pu
maîtriser le pirate, qui a lâché sa bombe dans la bagarre. Aussitôt, une
hôtesse a débloqué l'issue la plus proche, et l'on s'est rué dehors. Malheureusement,
la porte donnait sur l'aile. Je n'ai plus en tête le total des fractures
au bas de la marche, reportez-vous aux journaux de l'époque. Pour ma part,
diverses contusions, séjour à l'hôpital, repos, j'ai manqué la rentrée,
voilà.
Une anecdote en passant : le type se prétendait extra-terrestre,
et capable de léviter. Il s'est fait ceinturer au décollage, tant pis
pour le spectacle.
J'ajouterai pour finir que sa bombe était factice, et
que les vendanges sont avantageusement remplacées dans ma région d'origine
par la récolte des pommes à cidre.
J'avais eu tout le temps, durant ma convalescence, d'imaginer
une rentrée passablement bousculée. Ce ne fut pas le cas, ou si peu !
L'intervention de Canivet avait tant marqué les esprits
qu'on me laissa raisonnablement tranquille jusqu'au soir. En cinquante-huit
questions, mes condisciples estimèrent avoir cerné le personnage dans
son ensemble. Dès ma première réponse, on crut deviner une dramatique
méconnaissance du football, et l'on s'acharna davantage à confirmer ce
triste soupçon qu'à creuser d'autres sujets brûlants, comme le rattrapage
des cours de la semaine passée ou les quatre mille variétés de pommes
recensées à ce jour.
- Mais tu n'as pas peur en avion ?
Un tout petit bout de fille de rien du tout, Nathalie,
avait par cette énormité fait le vide autour de moi. Et ce d'une voix
si fluette qu'elle aurait dû se perdre dans le bruit de fond.
*
*
*
Je
retrouvai avec une satisfaction mitigée mes appartements provisoires,
que je n'avais guère eu le temps d'inspecter. Ce ne fut pas bien long.
Un semblant de cloison, miteux, séparait en deux l'infâme galetas : une
entrée aménagée en coin toilette, et un coin sommeil. Ou insomnies, les
araignées en décideraient.
Le premier rideau isolait tant bien que mal un lavabo
éraillé de traces d'émail, sur la gauche en entrant (ni bidet ni douche,
avais-je déjà noté). Le second fermait ce qui ne pouvait être qu'un placard,
en vis-à-vis. Un troisième se donnait bien du soucis pour prolonger le
refend et clore la chambre proprement dite, où gisaient un méchant lit
de fer, une table moche aux tiroirs à coup sûr coincés, et une chaise
désassortie mais à peine bancale. Quant au dernier, il pendait lamentablement
à l'unique fenêtre, tout à fait incapable de la masquer sans l'aide de
punaises qu'il me faudrait dénicher d'urgence : rez-de-chaussée sur cour
passante, et l'on a plus ou moins sa pudeur. C'est dans le " cabinet
de toilette " que je passai sans plus attendre une robe de chambre
; celle de papa, évidemment.
La douche éventuelle attendrait, car je comptais bien
nettoyer le placard de fond en comble avant d'y suspendre ou déposer quoi
que ce soit. Une éponge à la main, j'ouvris en grand le rideau numéro
deux... et faillis pousser un hurlement : une femme et un enfant, nus
!
Plus exactement, une future mère et une fillette - nues
donc - mais en plâtre peint, grandeur nature, sans bras ni jambes,
montées sur socles, et dont le regard de biais me considérait sans plus
d'aménité que d'animosité. Toutefois, ce n'était pas franchement banal,
aussi me fallut-il cinq bonnes minutes pour contenir la chamade de mon
cour...
Eh bien ! j'avais crié, donc ! Une brève cavalcade côté
couloir : l'instant d'après, l'on frappait à ma porte. Devinez qui ? L'Elisabeth...
- Tu as trouvé un martien sous ton lit, attaqua-t-elle
tout de go ?
Je lui désignai le rideau, retombé sur le réduit comme
sur une mauvaise pièce de boulevard. Nul besoin de l'en prier pour qu'Elisabeth
risquât un rapide coup d'oil...
- Ici, on appelle ça un placard. Il faudra t'y faire,
compatit la jeune fille, placide.
- J'en avais eu l'intuition, en effet. Mais les deux
horreurs, dedans, c'est quoi, au juste ?
- Quelles horreurs ?
Sentant
poindre soudain l'irrationnel, je tirai violemment le rideau, qui me resta
dans les mains. Soupir de soulagement, les statues n'avaient pas disparu.
- Celles-ci, pardi !
Mon amie les examina en silence, la tête inclinée, les
effleura du doigt, qu'elle renifla, considéra le ventre rebondi de la
mère, le sexe ébauché de la fille, fronça le sourcil gauche, puis le droit,
se gratta le menton et conclut :
- Art post-néo contemporain pompier, d'influence judéo-naïve.
Les peintures sont d'époque, d'ailleurs indéterminée. Je pencherais pour
un vestige de bizutage...
- On ne peut pas les laisser là, coupai-je. Aide-moi
donc à tirer tout ça dans le couloir... Et à raccrocher ce rideau d'abord,
ajoutai-je, me baissant pour le ramasser. Tu·veux bien ?... Hé ?...
Elisabeth, écarlate, me fixait avec un air d'intense
stupéfaction. Elle s'enfuit tout à coup.
-
Un martien sous mon lit, peut-être ?...
Ce que je vérifiai à tout hasard, en réajustant sur
mes seins les pans relâchés de ma robe de chambre...
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