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Pour
Chantal...
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Tout avait commencé à
l'heure bâtarde (ou blafarde) où d'obscurs fonctionnaires talqués et poudrés
de près posaient leurs doigts grèles sur des micro-ordinateurs
de troisième génération. Cette heure était l'heure des morts et de la
vie, l'heure des bébés pâles et des poussettes d'occasion, l'heure des
lasers, des imprimantes, des stars, des pas stars et des autres.
Or, dans ce charivari de gestes trop lents, ils avaient
allumé leurs feux sur quatre-vingt colonnes et dans leurs vide-poches
leurs sourires tapis brillaient comme des dentiers d'acier détrempé...
C'était une heure humide, c'était un temps gris où une histoire à moitié
blanche peut naître, paraître, étonner, une heure où l'histoire et même
l'heure de l'histoire n'ont aucune importance. Enfin, tout avait commencé
et tout devait, peut-être, continuer...
Klaus
caressait le chat, un chat méthodique, un long chat noir aux muscles durs,
un chat de gouttières. Avec des yeux verts. Klaus qui était un homme de
gouttières avait mis son coeur dans le coeur du chat. Cela arrive quelquefois
qu'un homme soit ainsi. Tous deux frémissaient, immobiles et muets et
lorsque le chat, d'un bond, gagna l'appui de la fenêtre, passant dans
le vent glacial, Klaus étira ses grandes jambes de fuyard, se dirigea
vers la jetée.
Dans l'épaisse graisse de la mer, les vagues semblaient
un champ de luettes qu'une invisible main secouait et fracassait contre
les bois vermoulus et suintants, les bois d'invisibles granges marines,
contre les rocs froids et tangibles - main coupeuse de paroles ... Ici,
cela sentait le vomi des retours de cuites, la pissotière bouchée et là,
c'était comme un grand vide nettoyé, comme s'il n'y avait plus rien, ni
odeurs ni souvenirs, ni hélicoptères ni télé couleur, ni tous ces putains
de cédéroms à la con qui cherchent leurs interfaces magiques.
C'est magique le vide. Rien.
Le menton haut, Klaus huma trois fois, sniffant l'air ;
le vent eut alors une odeur, une épaisseur, une couleur et un sens, l'indicible
senteur de la liberté. Ses poumons enflèrent comme deux larges focs et
d'entre les voiles librement battantes et fouettées, le coeur se dénoua,
fragile coquelicot de sang, et respira lui aussi. Le chat rêvait comme
une feuille d'automne, ses yeux pillards étaient levés comme deux becs
de cigognes.
Klaus
est debout. Petit grand homme. Et l'immense, immense, immense mer dont
les mots sont trop courts. Mer génératrice, violente, arasante... Le chat
vint lui griffer les mollets, rageur, rapide, alternatif, douze volts
et l'intensité du chrome, chat zingué, supra-conducteur. D'un geste vif
et précis, Klaus attrapa la boule de poils et la plongea dans son ciré.
Là-bas,
la grande route cuivrée avait le " V " de la vipère sur la tête.
La petite maison de sucre glace, d'amour et de chaume, fumait sur la plaine,
souriait au rivage. On se serait bien cru dans un conte d'Andersen où
des sirènes hurlantes faisaient des queues goulues à des pompiers de plomb
en criant au viol ! au viol ! au viol ! par trois fois.
C'était horrible cette douceur sans tache, nivelée, nickelée et qui se
répétait. Il y avait autour de la maison des bosquets de tamaris réglementaires,
proprement élagués par un bourru agricole du coin - ou de l'autre coin.
Il y avait de drôles d'oiseaux troglodytes, des Lascaux presqu'égarés,
des freux bonasses et pépères impassibles ou sourds comme des coups de
canons ; il y avait des quantités de haies sempiternelles d'épineux
persistants, des vieux ressorts de matelas Epéda, un ou deux ou peut-être
trois bidons d'huile Texaco, des grilles forgées que le temps déforgeait,
de la rouille complètement mangée par la rouille. C'était tout
un monde à part le monde... et peut-être que j'écrivais pour ne pas être
reconnu.
On
s'enrichit au silence. Toute similitude n'est pas bonne à dire, même avec
des couverts d'argent et des personnages principaux. Même dans les châteaux
de fer, les vainqueurs ont encore la peau molle, parfois visqueuse. J'aurais
voulu être content, heureux comme un rat dans une décharge de pianos.
Voyons, il faut se bidonner. Poser les hypothèses à terre. Pour ne pas
être la cavité d'un semblable, la coque, le coffrage du prochain (son
prochain), il faut épeler le cuir de ses allures. Je m'épèle : nom,
prénom, tonnage... Tout homme creux est destiné (c'est la logique même,
et Benjamin Tonneau en a fourni la preuve lors d'une conférence sur le
fromage suisse), tout homme creux est destiné au premier rôle. Il est
indispensable d'être le détenteur - même en faux - du meilleur
outil, il est nécessaire de se prendre avec des pincettes neuves, stérilisées
dans un bocal de cornichons ou dans du Mercryl si vous n'avez que ça.
C'est donc cela la complaisance, baisser le ventre ?
Ce serait donc cela. Qu'il soit nécessaire d'articuler précisément
l'équerre de bois, le compas d'or, la petite boîte noire ou les bonbons
à la sortie des classes maternelles. Et c'est celui qui aura le meilleur
fusil qui sera le seigneur, l'homme aux poinçons, peut-être le voleur.
Ainsi pour ne ressembler à personne, il faut être l'autre et après l'autre,
il faut être le prochain, ensuite tourne à gauche, au fond du couloir
à droite. Sans doute le désert. En tout similitude. Je suis sûr que je
vivrai, je ne peux pas mourir. Ils sont trop sur ma route.
Ceux
qui sont nés avec leurs dents vont bien. Mais ceux qui sont nés sans soufflent
par une nuit sans lune et sans loups, ceux qui sont nés un jour sans pain,
sans sel, sans larme, ceux-là demeurent seuls parmi les autres. On peut
vivre longtemps, vingt ans, vingt siècles, vingt mondes sur une seule
idée : l'idée de son visage. Apparemment, on ne meurt qu'une fois.
Il est plus difficile de chercher sa face que d'en être heureux :
l'homme grandit toujours à mourir à visage découvert et de profil, pour
la photo. Alors la satisfaction ? C'est le bonheur des imbéciles.
J'ai connu des paroissiens qui dégainaient (plus vite
qu'Albert Londres) deux miroirs sertis dans le plomb des confusions, typographie
intime.
- Vous savez ? Mais oui, vous savez... Ces cow-boys
casseurs et concassés, juchés à tour de premier rôle sur de longues pattes
au travers desquelles on discernait vaguement un vague paysage californien,
un fond d'aquarium ; ces testiculeurs en diable, étalons rueurs aux
braguettes à mémoire, braguettes magiques, qui prient la bouche pleine
de corned-beef, sursautant au moindre bruit et qui, morts, ont encore
ce regard vache, ce sourire d'en dessous, ce rictus du camionneur fou,
tout ça avec des barbes hirsutes ?
- Oui... disait Roman qui ne mâchait pas ses mots.
C'était
gênant pour lui. L'allusion la plus infime à ces bouffeurs d'indiens
(navajos, séminoles, comanches and C°...) lui faisait l'effet irritant
d'un paquet de lames Gillette entre les fesses. Roman aimait les indiens.
Il connaissait un antique chef apache. Le chef, rouge, archaïque, comptait
sa face géographique, réserves après réserves. C'était un réservé. Ridé,
sillonneux, ocre, raviné par un fleuve d'eau de feu. C'était un vieux
chef assis sur son divin trou du cul. Le chef se mouvait dans un constant
coma de fumées et fumettes aromatiques. Le grand chef était le petit frère
des herbes et de la suie. il était un peu fou aussi. Il avait raison.
Un jour, comme décidé, il mourut.
Il
était mort de quatre cents coups de Guillaume Tell dans le dos et l'on
mangea sa chair qui commençait à pourrir. C'était une coutume fort ancienne
et un peu con aussi. Ceux qui eurent digéré sa chair sacrée crachèrent
sur les os. C'était encore la coutume un peu con. Cela en signe de deuil
collectif, bien qu'ils ne soient pas nombreux ; bien sûr ils étaient
plusieurs mais pas plus.
Après, ils astiquèrent leurs armes au Mirror et depuis ce
temps de la Mort du Vieux Chef Qu'ils ont Mangé la Chair en Crachant sur
les Os, ils apprennent la violence, le direct aux mâchoires, le judo,
la boxe thaïlandaise et le silence, car il ne faut rien dire. Ils apprennent
le silence aux enfants de leurs enfants. Ils apprennent le changement
d'horaires.
Les squaws semaient leurs seins brutaux dans les pailles
incendiées. Tout le monde fut très malade d'avoir mangé du chef. Le vieux
chef avait une sacrée putain de puissance et personne ne le savait. C'était
dur.
En ce temps-là, Roman portait le crêpe noir des veuves transcendées
et baisées à la sauvette dans une quelconque grande surface, dans un carrefour
d'églises, et, tel un loup blessé à la sixième patte arrière-droite, il
claudiquait. Je veux dire par là qu'il boitait, qu'il marchait pas bien,
quoi !
Pensif.
Il était pensif (il réfléchissait). Cela se voyait comme le Mont-Blanc
en plein jour, comme un nez au milieu de ses dix-sept figures.
Derrière
la petite maison de sucre, d'amour, de chaume, il y avait une éolienne
aux pales rouges qui tournaient sous le vent de mer. Parfois elle se mettait
en drapeau, vexée, obligée, parfois elle vrombissait gaillardemment, parfois
selon les vents de mer ou de terre, elle hésitait sur la direction à prendre.
L'éolienne, montée sur un pylône de cornières peintes en noir, alimentait
en électricité toute la maison. C'était pratique les jours de grands vents,
autrement on n'était jamais assuré de voir le dénouement dramatique d'un
film de Jean Richard.
On
s'enrichit au silence. On se heurte avec des mots. Il ne faudrait compter
que les regards les plus signifiants. C'est seulement le hasard (qui se
prend pour un chinois qui se prend pour un papillon qui se prend dans
la lumière, quelle histoire !), le hasard seulement obtenu, devenu
un mouvement strictement personnel, qui fait et défait les temps d'extase,
les moments de privilèges. Le hasard, serait-ce ce mouvement d'ailes ?
Ce mouvement de l'âme ? Chacun opère avec son hasard dans son destin.
Chacun est couturier, faut mettre sa boutonnière à son quotidien, chacun
excelle sur son fumier tel un coq maître des lieux et des médailles. Cocorico
intérieur. Chacun voit à sa manière la manière du monde. Le silence ce
serait des mots prémédités qui vous restent à la gorge.
En nous, un univers fragile mais téméraire tire ses plans,
s'assure à l'efficace baudruche des langues, des sens et contresens. Etant
creux, nous nous habitons. Nous sommes donc des dieux dans la tête des
dieux qui mettent le pied dedans. Bonne chance ! Le hasard !
Le dieu le plus puissant, le super-dieu l'emporte. C'est le jeu. Un jeu
tragique : imperméable. Le rouge et le noir, tu manques et je passe,
rien n'va plus.
Le
vieux chef apache mourut avec son monde mental, sa navette de plumes planétaires,
ses satellites hétéroclites. Un ectoplasme gênant, têtu, stagnait
au-dessus de sa sacrée dépouille et lorsque tous ses sacrés os furent
broyés, réduits en une poussière si fine qu'on aurait cru du Blanc d'Espagne,
que tous les augustes sables de son corps furent jetés sous les rots et
pets du grand Wakan, du Céleste Manitou, alors la forme inquiétante disparut
et ce fut comme une étoile en moins sur Dallas. C'était mieux, mais moins
lumineux. L'univers eut alors tourné l'apache.
L'époque était pieuse. Le chat ronronnait à quatre temps
dans le ciré de Klaus. Klaus marchait d'un pas lent, souriait de l'air
du temps, fumait des Peter Stuyvesant, crachait loin.
Chacun voulait une image à sa face. Certains trichèrent avec
leurs égaux, marchèrent sur la sueur des fronts, ce fut la sainte face
renouvelable. La démocratie à tempérament.
Car
ils sont nombreux les feinteurs, les mécanos de la passe, les détrousseurs
d'orbites, les tâteurs de galaxies, les saint-bernards de l'Abbé Chaupitre,
les fouilleurs de jupes et de douches écossaises, les peloteurs de vierges
noires, les alchimistrateurs aux robes pourpres, fourgueurs de poudre
aux yeux, poudres perlinpinpin. Ils sont nombreux les ébénistes des corps,
des cruches, des amphores, des jarres, des Jean-Michel Jarre, les manipulateurs
de tarots atrophiés, les bourlingueurs de cadastres astrologiques, les
étrangleurs de Boston. Ils sont debouts avec leurs faces tout entières
et glaciales. Elus, ils ne vous lâcheront plus. Ce sont des camarades,
compagnons frappés par les trois points, marchant dans la gadoue cosmique
de casino en casino, ces merlins désenchanteurs, flatteurs et qui visent
les yeux en fourchette plutôt que le ventre. En garde !
- Et qu'on les troue ! ajoutait Roman qui
faisait des pieds et des mains avec tous ses pieds et toutes ses mains.
Il y avait une casquette sur ses réflexions et son visage grandissait
sur lui comme un masque de bois. Une pirogue.
En
ce temps-là (au temps précieux des horlogeries fines et des bijoutiers
spongieux), l'Enfant était Mongol. Que voulez-vous, on remonte sa tête
et le temps, on démet la raide amure du hasard, on trouve un enfant de
satin qui tenait une roue de vélo dans sa cervelle, une ronde roue motrice,
volant de force et d'inertie, une roue-aux-anges ! L'une de ces roues
délicieuses dont on presse l'organe tétramère avec volupté et faiblesse
pour en extirper tout le jus. Une roue de hasard. Donc centrifuge.
En ce temps-là, au temps du gland préhistorique (avant l'Histoire),
pré-sémantique, au temps béni des fentes ultra-violées, le " La "
fut bel et bien donné (pour mémoire, à quiconque le prit), le temps commença,
le verbe se fit verbe, ma soeur se fit mettre en levrette, ce qui est
fort agréable, et d'inqualifiables biologistes qualifiés, d'inénarrables
chirurgiens aux veines plastiques redessinèrent l'ancien pistil. Tracèrent,
révolvérisèrent dans la viande primale. Ce fut un Moyen-âge. Un âge moyen.
C'est ainsi qu'on ouvre une histoire. Il faut que le temps
commence, quelques réflexions et philosophies mêlées, quelques cruautés,
beaucoup de cruautés. D'autres la commence avec un poussiéreux marquis
mal fagoté, sorti tout droit d'un magasin d'accessoires, puant l'ail et
la Kanterbraü et qui entre en giclant dans la chambre bleue et dans la
petite bonne portugaise et anale. Analpha-bête et bête à jouir.
En
ce temps-là, le Président mentionnait la Crise avec Sérieux. On changea
le Président. Et la Crise. Les Ministres faisaient une heure supplémentaire
au bénéfice du doute. On ferma le Jardin du Luxembourg et Klaus proposa
l'assassinat du gosse par des voies respiratoires. Thomas Edison travaillait
d'arrache-pied sur un système nettement plus compliqué, avec arbre à cames
en tête et vilebrequin sur vingt-sept paliers entièrement lubrifié
d'une manière logicielle. Thomas Edison était un grand maniaque.
Donc les Ministres avaient Autorisé. Ils opinèrent lâchement
de Leurs Bonnets et de Leurs Oreilles toutes choux-fleurs et maraîchères.
A l'Heure H et au Jour J, à la Minute Précise, tout se passa exactement
comme prévu, rotativé et imprimé douze mois à l'avance par les grands
quotidiens mensuels de Paris et Banlieue.
On fit mander le sieur Paul Rubson, ex-colleur d'affiches,
qui obtura tout, s'acharnant particulièrement et avec une énorme délicatesse
de brontosaure sur les huisseries baroques et rococos, c'était un style
qu'il n'aimait vraiment pas (tout petit il avait été jeté par ses parents
adoptifs dans une bouche de métro 1900). Klaus, charmant ce jour-là, taquin
comme un écolier convalescent en rupture de radiateur, séducteur, cabotin,
Klaus ouvrit le gaz sur le gosse-mongol. L'Enfant-Roue tourna de l'oeil.
Et cet Enfant éclata, bulle puante à la surface de son petit
lit rose. On ne parla plus de hasard, ni le chinois, ni la langue papillon.
On parla d'absolu, d'absurde, d'ambigu : la nécessité est absolue, le
théâtre est ambigu, Philippe Sollers est absurde et les petits chats sont
noyés. Ce temps-là fut cosmique, total, hormonal, poignant. A pleurer
de rire. La politique fait bien les choses. Le Jour de la Mort de l'Enfant-Roue
Mongol, on parla beaucoup. Souvent un zèbre hagard, zébré de près, se
promenait dans le grand salon avec désinvolture, rayant les tapis neufs
et persans. C'était un zèbre de gouttières. Le dernier de sa race.
En
conversations, les hivers se traînent - sangsues amorphes, grosses chaloupes,
autocars gastéropodes. On nous accorda une récompense de deux-cent cinquante
francs et soixante quinze centimes TTC pour Paul Rubson qui prit aussitôt
la fuite et la caisse du Syndicat des Pneus Autonomes (S.P.A.). Il était
poursuivi par une escadrille de corbeaux à lunettes et qui lui piquaient
méchamment la tête. Méchamment. Lors de la Migration 50.
Hasard au sépulcre, Roman affirma que nous étions des imaginaires
d'Epinal, des statiques, des mobiles arrêtés, des figés, glacés, plantés,
plantaires - tout dépend de la gorge matrice, du flou, du celui-qui-le-dit-qui-y-est,
tout dépend de tout n'est-ce pas ? Il ne savait plus. Roman buvait du
vin grec en parlant. Roman voulait croire Roman. Roman qui affirme, qui
infirme, élague, rejette, ramasse, harcèle, rature, élabore ... Oh! la
la ! Roman tu nous fais chier avec tes jeux de mots et ta serrure
à serrures multiples ! Il broutait à vif nos filiformes racines,
nous nous révélions là plutôt que là-bas et tout recommençait tel un château
de trente-deux cartes. Nous vivions dangereusement d'un mètre à l'autre,
du salon au cabinet de toilette en passant par la cave départ.
Nous étions fous comme des fous, paquets de nerfs étirés,
lacets nouilles, gargouillis et pantatruelles, bouillon de mica, le grand
poum-poum, le bang intergalactique, jets de boudins blancs, ruptures,
ruts purs, ressacs incessants, marées salaces, les potées atomiques aux
ourlets volcaniques, thermonucléaires : Salam ! Bonjour les
cieux, vous allez voir ce que vous allez voir, plantons le décor dans
la margarine de ce matin, lissons les plâtres encore frais, hissons les
pavillons de nuit, il s'agit d'un théâtre d'ombres, de lumières où s'abîment
en coulisses quelques énormes et rares pouffiasses aux sexes pipés, aux
culs vastes et lourds...
En
ce temps-là, Roman, Klaus, Rubson, statiques, dynamiques, ils charmaient
les aiguilles des roulements, ils étaient des têtes d'encrage sous pression.
Comprimés, exprimés. Quadrichromiques. Il y avait aussi le joueur de manettes,
le presse-farine, l'avale-pipi, le cracheur de chocolat en poudre, le
meneur de loupes. Il y avait Lairdrep, ce chien d'pourri d'Lairdrep !
Ils y avaient les autres, crétins rectilignes, ceux de sombres écoles
privées, les cueilleurs d'as de trèfle, les mouilleurs de boîtes d'allumettes,
ceux qui tombent toujours du côté beurré. Il pleuvait et tout un tas de
machines à laver Arthur Martin nous tombaient sur la caboche. C'était
gai, triste et moche.
Roman qui était à moitié poète par sa mère, disait
en italique :
- Ils ne veulent plus deviner dans les yeux du Sphinx,
dans les phares de la Ferrari GTO 25O (12 cylindres en V). Le Sphinx a
les yeux qui mouillent.
- Comme c'est drôle, Anatole ! répondait Truc.
... Le Sphinx qui dort, qui pue le dentifrice au fluor. que
c'est triste ces gens confondus aux vieilles pierres ! Pourtant,
certains ont leurs harmonies, la juste ligne, leurs oreilles s'habituent.
ils sont décrocheurs de timbales, briseurs de grèves, militaires de carrière,
immortels à l'Académie, militants de l'énergie verte et solaire, patrouilleurs
de nuit sur le vaisseau intersidéral Enterprise, grands ou sales, jeteurs
de sucre au chien-chienchilla de sa mémère-à-boire, viveurs à la petite
semelle, parasites, sangsues dessous de la muraille de l'échine populaire,
arracheurs dedans, toutes ces foules de folles foules... Il y a de quoi
devenir dingue ! Gens perpétuellement renouvelés, ponctuels, identiques,
soumis, rodés, nickelés, vidangés, cirés jusqu'aux cardans, définitifs,
aveugles, chiens d'aveugles, mamas et papas béats et ô combien !
bienheureux devant celui, qui, tiré du lit au petit matin froid et par
tous ses membres, mourut soigneusement à cran sur le bois. Le Grand Ecartelé
du Dimanche matin. Ah ! sont-ils divins ces baiseurs d'évêques et
de postérieurs rubiconds. Ils sont vaguement perdus semblables à des chercheurs
de fer à repasser. Ils vont, quilles et béquilles de sang sur un univers
terriblement aligné. Monstrueux et sonores. C'est l'idée fixe en crâne.
L'Idée de la Foule. La fange au pied gauche. Idôlatreurs, châtreurs. Ils
ont les genoux sciés, arnaqueurs, petits propriétaires toujours pressés.
Sont-ils possédés ? Ils ont des yeux chauds et crus, ils sont virils et
virulents et ils mordraient les cons ! Ils mordraient, les barbares que
nous sommes !
Pauvre Roman qui avait vêcu ce siècle d'imprudences et de
heurts en dehors du train, du voyage - mais nul n'échappe au mouvement...
Mais
avec la mémoire - avec celle de Roman par exemple - on peut
glisser vers les limbes, toucher la peau des yeux, avoir des lendemains
de veille. Il y a toujours une sortie qui clignote. Roman était un grand
sensible. Un grand Essentiel. On peut grincer dans le décor et cette omniprésence
toute de chair frissonnante ne fait pas l'ombre d'un doute, pas l'ombre
d'un rasoir sur un jeu de glottes : la peur c'est toujours le lendemain,
c'est toujours après. Sans lendemain : ni peur ni terreur, que le désir
présent, sa rapide réalisation, la joie et le plaisir mêlés, immédiats.
Soyons prompts, instinctifs.
Il y avait un Messerschmidt vrombissant, jaillissant des
cieux impénétrés, surgissant et plombant tout-à-coup les nuages,
c'est soudain une pesante chappe sur les consciences - qui suis-je
moi presque mort ? - ça blesse, ça pèse... L'avion qui file
lourd dans un bruit lourd, un bruit de grosse bonne soeur qui traîne,
il pourfend le coton des crânes. Roman, c'était moi à cheval sur l'une
de ces machines à engrenages coniques. Comique !
On
s'érige soi-même entre deux alcools, le vivre et le vécu fait alors
de nouveau vivre. Fait d'expériences et de souffrances cumulées, on s'agrandit.
On grandit doucement dans ses bottes de septs lieues, on s'éduque parmi
les bananiers et les ouistitis de nos fantasmes.
Une fois, un autre me prit pour un autre et c'était moi.
C'était tout Roman d'aventures au Maroc ou en Lybie, un roman d'action
avec le targui sur son Harley Davidson, le dromadaire épuisé, la panne
de carburant, les rires et les fêtes sans fin sur la place Djema El Fna
à Marrakech, que sais-je ? Avec des logotypes bidons sur la tranche des
lèvres. Pour la croisade. I am big Roman. Le nouveau roman. Moderne. Pratique.
Sous emballage plastique. Logique. Presque télématique. Hein ? Tu dis
? C'est tragique, je pissais dans le violon de Man Ray, j'avais le feu
sur les vestes de fuite, dur, dur... Froidement romantique, étais-je vraiment
Roman auquel on pouvait rajouter des mots sans nuire à mon avenir ?
Je parvins à somnoler, j'étais éveillé mais enfin je rêvais, je rêvais
d'une bleue aux lèvres brunes, d'un animal drapé de coton, j'étais un
arbre, elle me mettait sur son ventre japonais. Le matelas faisait un
cent mètres. J'étais l'herbe. Une mésange aux yeux secs et craquants me
fouillait du bec, ma tête baisait mes pieds sous le vent, j'étais la graminée
heureuse, j'étais tout : le fer gelé, le laiton, l'étain, le plomb dense
et danse sur la braise. Roman me prenait pour lui, Klaus rallumait les
mégots de la dernière marée, Lairdrep vomissait des clous sous les Simca
1100, ce chien d'pourri d'Lairdrep ! Alors j'étais moi dans une partie
de coude à coude, j'étais John Travolta et la la et la la lère, le Lama
Delon qui vient servir à boire, l'Abel et la Bête au Bois Dormant, Lone
Sloane. J'étais le Fils Illégitime du Soldat Inconnu et d'une mère essentiellement
publique, j'étais le mec Stirner, le mec Bonnot ou Clyde, cheveux filasses
et crades, émiettés sous un grillage de pluies. J'étais n'importe qui
et je n'étais que moi. Déjà, à douze ans, je me prenais pour moi. Déjà.
A douze ans. Et j'habitais ces précieuses enveloppes, joyeux locataire
aux baux saisonniers, hanté, hanteur, surtout hanté, esprit frappeur,
hanté sans frapper ! - ça prête à rire. A douze pour cent et
moi pour moi, j'étais en compte ferme calculant l'intérêt
de ces mouvements-là. Je triplais, dédoublais et passé les douze printemps
je redoublais d'audace et de patience, ma constance n'existait pas encore.
J'ai donc, très tôt, pris les mesures de mon âme et l'âme gothique, grandiose
de Roman me fit peur. On dira ce qu'on voudra, grandir ça relève plus
du désespoir que de l'altitude.
J'ai
connu Lairdrep par correspondance. Il avait une écriture de Grand Invalide
de Guerre.
Lairdrep. Il y a Lairdrep, l'homme d'Envers, d'une métropole
mythique, Lairdrep avec un " E " frais à la boutonnière, l'homme
ultra-plat, si plat qu'on aurait pu prendre l'heure en suisse et avoir
encore quelque avance sur de mystérieux horaires. Lairdrep, le troisième
type du miroir, le " psyché " aux renseignements généraux. J'ai
rencontré Jacques Lairdrep lors d'une exposition sur les gros coléoptères
d'Amérique du Sud. J'ai rencontré Jacques Lairdrep, rue de Strasbourg.
Il me demandait du feu.
Il me sourit. Cela casse quelque part... Toutes ses joues
se retroussent derrière ses oreilles décousues. Un quai de béton lui broie
les gencives. Deux trous rouges au côté droit ornent son chapeau fort.
Car son gibus est de première qualité et son visage glycérophtalique lance
des éclairs. c'est peut-être Louis Jouvet ou son frère s'il se nettoie ?
Monocle d'Amérique. Il est blanc. Plus pâle qu'une Ford Thunderbird entiérement
rénovée à la peau de coyotte. Pisseux et sale, Lairdrep urinaire, né sous
le signe du lac et de l'Eau de Cologne, trieur d'ailes et de mots orphelins.
il me ressemble comme une paire de ciseaux.
En ce moment, riveté dans son costard à pois chiches (calibre
22), il surveille d'un oeil critique. Il surveille toujours d'un oeil
critique. Lairdrep, énigmatique, adroit, est comme le piolet qui s'abattit
brusquement sur la tête de Monsieur Trotsky. Il est ainsi. Mortel.
Lairdrep donc. Illusoire. Magnifique et Magique. Qui but
jadis la sueur d'un des gardiens du Musée de la Bière. Un jour il faisait
beau sur les routes et dans la jupe des filles. Il se promenait. Au hasard
d'une brocante, il échangea son vieux et triste gibus contre un magnifique
huit-reflets. Chacun sait que le huit-reflets est un chapeau haut-de-forme
fréquemment habité par des colombes-en-signe-de-paix-sur-le-pauvre-univers
ou par un lapin-en-signe-de-carottes-dans-le-potager-du-voisin. Justement
il y avait un lapin tout blanc, il s'appelait Nestor. Lairdrep était aux
anges et au bordel ce jour-là.
Le chat Mistigri, grisâtre après ses vingt passages dans la suie, suicidaire,
greffier râcleur, têtait assidûment le zinc des gouttières. Il n'avait
rien compris et se posait tout un tas de questions à dix balles. C'est
qu'il se passait de par le grand monde bien des événements étranges et
mystérieux. Dedans comme dehors. Il y avait des clameurs, c'était le tumulte.
Dans les minutes de désarroi qui suivirent, il suffit que quelqu'un parle
net et sache ce qu'il veut pour que toutes les volontés éparses se plient
à cette énergie qui semble celle d'un chef... Mistigri-Sphinx s'exprimait
durement, avec des gestes secs et une allure autoritaire. Il s'étonnait
de plus en plus et, du coup reprenait tout son sang-froid par litres entiers.
il y eut quelques énigmes à long terme qui faussaient ses habitudes, l'empêchaient
de dormir derrière le poste de télé...
- Le pâtissier noir, le facteur Epsilon et
un universitaire zonard, type baba-cool réformé, se serraient avec tant
d'ardeur leurs mains-filtres. Cela produisait un bruit bizarre, c'était
beau comme l'amour dans Love Story. Un bruit agaçant, épilatoire, un vacarme
anachronique, un boucan de papier fripé, ça faisait... Ecoutez bien :
crrr... crrr... crrr... crrr... crrr... crrr... Ca faisait crrr... dans
les tympans, cela roulait comme de la musique d'Indochine, ça roulait
comme des os fêlés sur le marbre crrr... crrr... crrr... crrr...
Ces trois hommes s'aimaient. Allez savoir pourquoi ! Ils se congratulaient
et ça rendait dingue le marchand de Pastis 51 qui faisait aussi, dès
l'aube, les cartons ondulés. Il poussait une vieille ferraille, une poussette
rafistolée, il était ridicule avec son gros bide et son pantalon à carreaux
dont l'un était cassé.
- Pourquoi en suivant la lune, le poète Arthur
Cravan la vit-il subitement devenir américaine ? Avait-il envie d'étrangler
Pierrot avec sa cravate de cuir beige ? Il enjamba le rebord de la
fenêtre et mit le pied sur un des barreaux de l'échelle. En à peine une
minute, le poète Arthur Cravan avait disparu.
- Mistigri parlera-t-il de Marianne ? (Les chats
honnêtes, les vrais, parlent toujours d'une femme. La lune n'est pas plus
américaine que la soupe n'est vietnamienne. La lune des femmes est comme
l'argile des doigts. Voilà, ça va aller mieux, dit tranquillement l'inspecteur.
Elle frémit, ferme les yeux, les rouvre, se met à pleurer doucement. Toute
cette comédie ne rime à rien ! Marianne s'épile quelque part sur
un divan de velours mauve...). Quel beau songe que le songe du chat !
- Laurence... Pourquoi Laurence qui prenait un bain
de mousse fut-elle rapidement émaillée ? Son histoire est longue
et simple et nous y reviendrons souvent. Laurence prend un bain de mousse,
ses fesses menues, nues, ruent sur le fond tiède et lisse de la baignoire.
Le savon de lavande, ponceur d'aines duveteuses, va, vient, danse et gîte.
Savon de jeux, savon coquin. Laurence, égale au polymère, soyeux latex,
ses genoux volatiles, deux pêches de chair (mais il faudrait le témoignage
des séculaires marées océanes pour raconter ses clairs genoux qui sont
déjà des collines parmi les bulles à fenêtres). Genoux. Car elle joue.
Laurence joue avec ses épidermes, petite femme qui s'explore, se découvre,
silencieuse. Elle était mélancolique. Laure-Laurence, pareille aux jeunes
filles insouciantes qui ont cet âge fou, l'âge tendre des enfants à deux
faces et des doubles papillons dorés. Laure, semblable à toutes ses suceuses
de pouces dont les jupes cheyennes sont des assiettes colorées sur les
champs, car elles font du panard à la nature.
Oh !
Laurence qui joue, batifole avec sa nature endormie et clapote régulièrement
au rythme des rythmes de sa poitrine adolescente.
- Pourquoi? Pourquoi dit le chat Mistigri, pourquoi
dans cette obstétricale pénombre drue due aux tuiles faîtières, pourquoi
Fred claque-t-il un chargeur de sept cartouches " 280 Remington chargées
à 150 grains - hight velocity " ?
Fred de Killer, nomade et voltigeur, ajuste lentement
la lourde automatique. Il a le souffle coupé. Quelqu'un surviendrait,
le taillerait en long et en travers à la hache, il ne sentirait rien.
Son pouce est sur la détente. il n'appuie qu'une seule fois. Précisément.
Pourquoi ?
La si gentille petite tête folle de Laurence explose
littéralement tel un caillou jeté dans un lit d'eaux divisées, maculant
le jade dépoli de la baignoire modern'style, striant l'eau de filets carmins
car le sang de Laurence était vif. Ce fut un bain de sang.
Plus tard, la chair mêlée aux fragments d'os séchés
contre les plâtres blancs donna l'illusion d'un plan hendécagone aux messages
héraldiques, un plan de métro sans doute... Laurence entaillée. Elle ressemblait
tant à Brook Shield, l'enfant-star aux peaux rosâtres et fines, papier
à cigarettes, le Zouave rigole ! Nous vivons l'heure des générateurs
nucléaires, des piles de piles atomiques, des monstres à quartz. A l'heure
des sternes engluées dans le mazout, nous mourrons comme des jeunes filles
passées à tabac et même à bar-tabac, pipes de porcelaine, poteries de
chamboule-tout. Ca me rappelle toute une époque ou des kommand-car et
des C.R.S. aux bites éméchées montaient à l'assaut d'innocents aux mains
blêmes... Qui l'eut cru, Lustucru ? Les enfants ne sont-ils rien
d'autres que des petites machines à nous apprendre le sol ? Il suffit
de se pencher, ces animaux fragiles et beaux qui jouent d'un rien, ce
sont eux, les enfants.
-
Pourquoi Luchino (dit Lucky L'Evêque) rangea-t-il sa Bentley au parking
Saint-Jacques, devant le Zarathoustra's Bar, alors que d'habitude il se
garait quelques mètres plus haut en amont de la boîte, achevant le reste
du trajet à pied ? Bien sûr le chef apache était mort, mais enfin...
Son histoire est plus simple, plus courte.
Cet après-midi-là, à quinze heures vingt, il n'eut guère
le temps de se mettre en règle avec ses divinités personnelles : une rafale
de 7x64 venait de lui parapher le bide, écornant même au passage la palissade
publicitaire, la dame sexuelle - Shell que j'aime, avec des nichons
gigantesques - et qui ne veut absolument pas échanger son baril de
plaisir privé contre deux caisses d'ordinaire, la dame Shell qui vantait
les mérites de la cuisine aménagée de son coquillage. La dame-mégapole,
la grosse starlope (star et salope) du système-à-la-folie, un peu, beaucup,
passionnément pieuvre...
Cent mètres plus loin, Fox, Xavier Fox, éditeur de revues
cochonnes, producteur de films hards dans tous les formats, super 8, super
69, videos, cédérom et compagnie... Xavier Fox crevait la
gueule ouverte en soupirant, il n'avait pas eu le temps d'avaler le bonbon
de chocolat praliné qu'il venait d'extraire voluptueusement de sa gangue
argentée, ses gros doigts boudinés demeuraient encore surpris. Sûrement
que le chocolat se mélangerait au sang - osmose, symbiose... Sûrement
qu'il lâcherait simultanément un rot et un pet silencieux...
Luchino-Lucifer expirant loyalement battait encore des
ailes et rejoignait en souriant un pandémonium plus serein. Il était mort
de cette mort dont on fait les bonnes terres grasses en Sicile. C'était
un juste.
Mistigri,
perplexe, inquiet peut-être, consulta le géant Gorth (l'extra-céleste)
qui lui répondit illico en langage-chat : " Klatou, Barada, Nicto ! ".
Mistigri passa une patte rapide aux avers de ses oreilles... Et pourquoi
Hubert ? Valentin ? Et Yolande ? Faut pas déconner, lui
dit Gorth, en lui tournant le dos.
La poitrine trouée par quinze balles de " Stinger
C.C.I. calibre 22 Long Rifle ", Valentin rendit l'âme, une âme qu'il
avait extorquée trente ans plus tôt à un chien de fusil. Il mourut sans
voir cette subite éclosion de hannetons bruns sur son plastron :
sa vie déferlante, rouge, liquide, lourde par quinze petits trous du cul.
Hubert avait employé cette fois-ci une courte carabine, une " U.S.M.
1 ", un modèle civil, chargeur réduit à quinze coups avec lunette
de haute précision.
Une
tourterelle blanche passa, sans doute un magicien qui testait un chapeau
à ressorts hélicoïdaux ?
Hubert se gratta la nuque. Le pli de son pantalon (marque
Cacharel) n'avait pas bougé lorsqu'il avait fallu ployer une jambe pour
épauler d'une des fenêtres de l'Hôtel de Massa...
Hubert H. vérifia-t-il les serrures, goupilles, codes
secrets et cadenas de la mallette noire bourrée de poudre blanche ?
Oui. Il descendit au premier étage et retrouva le sourire concassé de
Yolande dont les chairs commençaient à raidir. Il fit culbuter le corps
derrière le divan, tripota son noeud puis son noeud de cravate et raflant
le briquet en or de la fille, il s'alluma une Peter Stuyvesant. Une Pontiac
Fiero stationnait devant le perron. Toutefois, malgré l'odeur acide qui
régnait dans la pièce, Hubert H. prit le temps de se changer, prit un
bain. Ses ablutions terminées, il dévala le grand escalier de chêne blanc
en faisant sauter le trousseau de clefs dans sa main gantée.
Mistigri
se léchait les babines. Pourquoi Oscar Wilde (1854 - 1900) écrivit-il
: " La jeunesse est un art " et pourquoi quelques années plus
tard affirma-t-il que " Tout art est inutile " ? Une société
sans art serait comme une femme sans ventre. Roman aimait les citations
de feu, les situations choc, les images, les idées, toutes vacations gratuites,
comme s'il fallait exprimer tout le jus d'un fruit sans vraiment en connaître
les utilités, les finalités et nécessités. Roman aimait le beau parce
que le beau ne sert à rien.
Etrave - Etambot - Langueur - Mistigri noir s'étira
comme un voilier sur la grande sournoise bleue. Que de questions !
Que de questions ! Changea de position, de muscle, de gouttière,
de toiture. Toiture de course. Désormais il jaillissait sur la plus haute
cheminée, d'entre les antennes, parasitant les émissions impossibles - et
Mistigri, noir-noir, s'escamotait sur les tuiles rouges. Mistigri, grigri,
où es-tu ? Pourquoi tous ces pourquoi ?
Toutes ces énigmes, ces étranges secrets, l'indisposaient.
Ces questions d'homme qui lui vrillaient le crâne n'étaient que des arrêts
facultatifs, rien n'oblige celui qui passe à demander son chemin... Mistigri
entretenait sa paresse, certes, mais il aurait tant aimé connaître les
réponses, afin de satisfaire les innocents, les coupables, les victimes,
les chauffeurs de bus qui lui pissaient dessus. Ces questions, ces excellentes
questions, Mistigri se les posait, pour assainir, diminuer le poids des
remords, pour alléger son désarroi, son enfer. Bonjour l'Enfer de Mistigri !
Bonjour l'Enfer... Il y eut ces instants de bord de mer dans le ciré de
Klaus, le grand bang originel, il y eut l'Enfant-Roue, peut-être l'Enfant-Piège
pour douter de tout, de sa raison, de sa folie. Il y eut le chat-sphinx
et Harold.
Qui passa, étonné par le prestidigitateur aux gestes
lents. Manquaient encore l'allumeur-de-becs-de-gaz, l'empêcheur-de-tourner-en-rond,
une belle-de-jour, une homme-de-peine, quelques innocents aussitôt sacrifiés
le matin dans la sciure, quelques petits princes amorphes , quelques brebis
galeuses, quelques empailleurs patentés, quelques concierges effarées.
Manquait encore le monde et son monde de taxidermistes fous.
Avec
du recul, Lairdrep prit d'abord pour cible le matou, visa le chat, manqua
de justesse le greffier, tira alors furieusement sur l'aéropage avec son
Colt Python 357. Il ressemblait à Yves Montand dans un téléfilm franchement
anti-soviétique. Le Sphinx demeura avec ses grands yeux cruels et interrogateurs.
Ce fut le Jour Magnifique de la Grande Eclaboussure. Le Grand Soir gauche
et claudiquant. Cela nappa. Cela napalmait. C'est excellent le sang pour
la santé.
Moi qui saigne, tel le martyr Saint-Sébastien d'Oradour-sur-Glanes,
miraculé, je peux vous affirmer que cette année-là, bissextile, la tendance
fut au sang. Le rouge fut mis. Depuis j'ai l'oeil de la mouche dans la
mouche et Madame la Marquise d'Aussonne me congratula d'une dizaine de
médailles en chocolat Suchard, son téléphone étant provisoirement sur
table d'écoute. Roman riait sur la Génèse.
Seize - décapités - Net. Ce fut le maltage, rapport
aux bières. La Madone de Cuir faisait claquer les élastiques de ses jarretelles
pleines de bons bonbons (Quality Street) sur ses longues cuisses épilées
à la cire d'abeilles. Sa gaine baissait sous les friandises et l'odeur
pubienne, sucrée, se hissait aux gorges. On en faisait des gorges chaudes.
Qu'on revendait à la sauvette.
Roman, tenu au secret professionnel, qui était soussigné
technicien dans un laboratoire de grand luxe, se mit à naître dans la
nuit du 25 novembre au 28 juillet. Que faisiez-vous dans la nuit du 25
novembre au 28 juillet ?
Soyons
compatibles. Organisons notre disque dur. Ouvrons l'encyclopédie des codes
secrets. Vous qui me lisez, ne cherchez plus à comprendre. Si vous vous
appelez Hervé Goldberg, si vous combinez les certitudes derrière le
masque du machisme, si vous étudiez le catalogue philatélique Yvert et
Tellier des Pays d'Expressions Françaises tout en éduquant les jeunes
populations des cités H.L.M. Si vous vous sentez juif dans les moments
difficiles et si vous pensez que Léo Ferré a surtout composé avec l'esthétique
ou pour quelques rombières alanguies. Ne désespérez plus. Téléphonez au
3615 Mistigri.
Et que faisiez-vous, Hervé, - avouez nom de dieu d'bordel
! - que faisiez-vous dans la nuit du 25 novembre au 28 juillet ?
L'accouchement
sous le globe aveuglé fut une vraie plaque de verglas. Roman minéralogique.
Roman hors des eaux communes continuait sa planche. Aujourd'hui il dort,
Roman, depuis 1953 qui fut une année absolument parfaite pour les vins
blancs de la région bordelaise. Rappelez-vous : cette année-là, Didier-Michel
BIDARD, pris de boisson, trio infernal, donne naissance à une charmante
petite fille de sexe féminin, de trois kilos sept cents grammes - sa mère-mother-mama-mater
le cul coincé entre deux piles de bobines de films - sub rosa (sous la
rose) - serre toutes ses dents sur tous les carreaux de son mouchoir en
pur coton. En pure perte.
Lairdrep
tira sur le signal d'alarme. Le train éructa sur les rails, il y eut une
coulée d'étincelles sur les parallèles de fer. Lairdrep se jeta dans un
massif de dahlias. Il fit ceci, il fit cela et que ne fit-il pas de tous
ses membres qui l'encombraient. Au loin, Métropolis s'enflammait.
Mama-aux-Rhums pissait sur ses bas Dim. C'est difficile
à dire, faut-il l'admettre (?) mais subitement la femelle du bipède est
essentiellement diurétique. Aussi Mama pleurait et dehors il pleuvait.
Autour du berceau de Roman, il y avait des campanules,
nulles, vraiment nulles, des mamelles alimentaires titrant douze degrès
au litre, des troupeaux de moutons, un vieux boeuf, un âne borgne, des
lions jaune-paille, trois rois mages en images, des poissons rouges de
honte, des éléphants rosses, quelques rangées de missiles en défense passive,
un petit bouton encore rouge et de la graine de dégringole fabriquée par
Jacques Perdrial à Roubaix. C'est très rare la graine de dégringole. c'est
de la graine pour se moquer des escaliers et des colimaçons. Avec, on
peut aussi se moquer des ascenseurs, de la Tour Eiffel, des alpinistes,
des spéléologues. En fait - en vérité je vous le dis - il n'y eut pas
de graine de dégringole ce jour-là, même le berceau bercé par les chants
langoureux des berceuses avait disparu. Seul l'homme rectangulaire du
zoo était venu avec sa collection particulière d'éprouvettes particulières.
C'était éprouvant. Eprouvantable.
Ce n'est que soixante ans plus tard alors que tout art
était devenu franchement inutile mais justifiable sur les feuilles de
routes, qu'apparut en rase campagne, à Pont-Hébert (Manche), dans un autre
massif de dalhias, le premier berceau à graines de dégringole. Entretemps,
Roman était né comme tout le monde avec sa carte de visite typographiée
en Garamond corps 10.
A Pont-Hébert (re-Manche) le Maire qui était bête comme
ses pieds, aphone, apocryphe, aviateur, atrabilaire et bizarrement bilieux,
parla dans sa langue avec une cuillère à bouche. Il n'y avait personne
pour contenir les morts du monuments, exceptée une authentique marraine
teutonne, toute poudrée, atrocement maquillée avec des produits bon marché
- sans aucun doute la marraine du chirurgien esthétique Hervé Goldberg
recherché par toutes les peaux lisses. La marraine, rescapée de la Guerre
14/18, la Guerre-des-Etoiles-au-Front, la guerre-Apollinaire, la marraine
tout aussi médaillée qu'écoeurée baptisa à regret l'enfant. Le Maire suçotait
son drap de bébé, Snoopy donnait la papatte aux zoziaux. Roman qui avait
maintenant vingt-neuf ans reçut deux grains de sel dans l'oeil. Le Maire
entama, derechef, son discours par le gros bout. Roman s'appellerait Jean-Claude
avec un trait d'union entre le petit " n " et le grand " C ",
ce qui à l'époque était vachement osé pour la Communauté européenne. Ensuite
la Marraine de trèfle disparut comme elle avait disparu. Je vous parle
de ça... Ca s'est passé il y a au moins... Au moins. Roman montait en
jambes.
Au
61, rue des Boutiques, à l'angle de la rue du Commandant Charcot, Maga-La-Neu
- fille unique d'Aldo Guido Guglielmo Achille Cavellini alias " Petit-Père-Aux-Noisettes-De-Feu " -
vend son âme pour le principe et calculatrice conserve son manteau de
fourrure pour la circonstance. Ses hauts-talons se marraient comme des
totems tabous. Dans le fond du magasin, l'Indien Quanah Parker s'ouvre
une série de veines pour marquer son affliction. Encore un indien de gauche !
Totems - tabous - Maga-maga et Mistigri dans le tamis
de ses bas-résille.
Mais la femme qui étonna le plus notre assemblée, ce
fut Maria Cangaceiro... Les longs poils noirs de son pubis avaient quelques
reflets d'ardoises sous les spots, les couleurs jaspées du schiste millénaire,
la nuance des abysses - ô son sexe-chatte ! les lèvres-livres, l'oiseau-ivre,
les siamoises sanguines ! ô l'alchimique et thermique méduse au médian
mouvant de sa taille ! - elle enfle - jeux bleu-rose de la sombre
épissure - ô le creux calorifère, la cendre de sept lèvres !... Maria
sous la suspension baroque dormait le sexe à l'air. Elle était veuve.
Une vocation tardive due au décès du Comte. Car elle fut mariée
au Comte de Saint-Aubin-des-Bulles-Micral, un homme si charmant et qu'elle
dévora du soir au matin en quatre mois, douze jours, treize heures, quarante-cinq
minutes et dix-sept secondes. Séance tenante, donc.
Juan, gitan sans gnose, l'homme-imperméable, un autre
frère de couleur, quitta la pièce. Il n'appréciait pas la faim du Sertao.
Juan était un intellectuel, un anarchiste, de gauche sans doute. Certainement
tuberculeux.
Elle ne fit qu'une bouchée double du Comte qui disparut
sur la côte ouest du Pacifique, près de Seattle. Quel con, ce comte !
Monsieur le Comte de Saint-Aubin-des-Bulles-Micral était
pourtant un homme juste et charitable. Chaque jour, il partageait équitablement,
méticuleusement, avec ses doigts de maniaque, les vestiges de son repas.
Et douze dobermans chiaient grassement à ses pieds.
Maga-La-Neu fut longtemps jalouse. Elle tapait du pied
avec ses talons-aiguilles sur le chat qui n'avait toujours pas trouvé
les réponses, d'ailleurs ce n'était pas le moment. Quand elle marchait
ça faisait des trous partout. Quanah Parker se vidait dans son coin, quel
con cet indien ! Maria était belle et ne s'occupait ni du sphinx
ni de La-Neu et Roman ne sut plus rien, ne sut plus s'il fallait périr
ou succomber avec ses désirs, s'il devait coucher et piéger l'une ou l'autre
entre ses hanches de mec. Mais Roman les aimait. Quelquefois il rêvait.
D'une peau. L'épaisseur de l'hymen l'avait toujours impressionné et à
son tour il impressionnait cet hymen, gélatine ultra-sensible... Roman
faisait des grosses matinées, il se peignait les cheveux au pistolet utilisant
de la laque, de la vinylique, il collait des noeuds-papillons aux cactées,
montait aux porte-manteaux comme un acharné des oeuvres de Sartre bien
qu'il n'eut rien compris à l'Esquisse d'une Théorie de la Réflexion. Après,
il avait lu un ouvrage d'horticulture (Les Fleurs du Mal). Il mettait
en marche la machine à laver les quarante-cinq tours, brossait le portrait
de ses ancêtres, cuisait des agarics dans les gamelles de cuivre, empuantissant
la petite maison de sucre-glace, d'amour et de chaume. L'éolienne tournait
très vite sous les vents d'Est. Roman s'emmerdait comme un rat mort dans
une piscine privée de tout. Roman était fou. Il était excusable. Roman
qui ne savait plus où donner de ses rêves et de ses cauchemars.
Mama-aux-Rhums,
de retour de la Guadeloupe, pleurait encore en essorant son mouchoir brodé
à ses initiales. Elle était triste, toute chagrine, bouleversée. Pour
la calmer, on essaya bien de tirer son lait, gras, visqueux, liquide lourd,
bombe à vitamines, mais elle fut pleine tout le temps avec ses tétons
intarissables et Lairdrep sourit encore, photomateur, oeil électronique.
Rieur, rieur sous cape, ô magicien qui lui pinçait les seins !
Isocèle,
Maga, inversée, se tripote le triangle, mue par d'obscures nécessités.
Harold H. mord le chien policier à coups de matraque dans le dos, ça trace
des grandes bandes asphaltées sur le chien qui se débine...
Harold serré dans son costume à rayures ultra-violettes
n'est vraiment plus sortable. Il a des odeurs. Il sent le camphre. C'est
désagréable. Ca beurre les narines, ça met une porte à l'odorat. Harold
pue. Il se mouche dans son écharpe. Il fouille dans la pochette de sa
veste, une veste western avec des couteaux (des bowies-knife) dans les
doublures. Un costume qu'il avait volé à Montmartre entre deux toiles
de peintres. Des peintres à carreaux.
Harold, oblong, pourrait être cruel s'il voulait s'en
donner la peine. Il y a un vautour perché sur son regard. Tiens, il y
en a un autre ! Le deuxième vautour c'est le frère du premier, ça
se voit dans le regard d'Harold. Deux vautours de taille et de marbre
noir.
La
prochaine fois, je vous parlerai de l'américaine number one. Elle fume
des cigarettes à bout doré, un mélange d'eucalyptus et de marijuana. Elle
a un air chic quand elle fume. Elle fut aimée par derrière, les mains
prises dans un volet de fer.
Quand je vous disais qu'il n'y avait que du beau linge
chez Roman !
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